24 Avr Comment vaincre le racisme (avec Lilian Thuram)
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Transcription de la vidéo :
Salut les amis ! Je vais aller droit au but. Aujourd’hui, nous avons un invité exceptionnel pour cette vidéo. Il s’agit de Lilian Thuram. Tu l’as vu dans le titre. C’est un invité d’honneur. J’ai été vraiment très heureux de pouvoir échanger avec lui pendant plus de 40 minutes. Lilian nous parle entre autres de sa fondation et de son livre “La pensée blanche”. Il nous explique comment il voit le sujet du racisme en France et ailleurs, et il va très loin dans le sujet. Donc, j’ai appris plein de choses et j’ai trouvé cet échange très intéressant.
Installe-toi confortablement, reste bien jusqu’au bout. Si c’est trop long pour toi, découpe cette vidéo en plusieurs morceaux, il est impératif que tu écoutes tout ce que Lilian a partagé avec nous. C’est vraiment beaucoup de valeur sur ce sujet de société qu’est le racisme. Retrouvons tout de suite Lilian pour cette interview.
Bonjour les amis ! Merci de nous rejoindre. J’ai, aujourd’hui, la chance d’avoir avec nous Lilian Thuram, qui va se présenter dans un instant. Je dis juste pour les peut-être deux-trois personnes de l’audience, qui ne connaîtraient pas Lilian, que c’est un ancien footballeur professionnel qui a joué dans un tas de clubs prestigieux, de mémoire Monaco, Parme, Juventus de Turin, Barcelone. Il a fait une très grande carrière en équipe de France, 142 sélections, champion du monde etc. Donc, c’est impressionnant. Ça le rend très populaire en France.
Mais ce qui m’intéresse aujourd’hui et ce dont je voudrais parler aujourd’hui, c’est sa reconversion que je trouve tout aussi inspirante, puisqu’il a écrit des livres, on va en parler notamment aujourd’hui, et il a créé une fondation contre le racisme.
Johan : Lilian, bonjour !
Lilian : Bonjour !
Johan : Merci beaucoup d’être là. Est-ce que tu peux nous parler dans un premier temps déjà de ta fondation ? Pourquoi tu l’as créée et ce qu’elle véhicule ?
Lilian : Alors, j’ai créé la fondation en 2008 lorsque j’étais joueur de foot à Barcelone. L’idée m’est venue après un dîner, c’est-à-dire à Barcelone, il y a le consul de France de l’époque m’avait invité à dîner. Et à côté de moi, il y avait un monsieur d’un certain âge, il m’a posé une question en me demandant ce que j’allais faire lorsque je serai plus grand, parce que pour lui c’était très bien de jouer au foot, mais c’était quelque chose de très enfantin. Donc après ma carrière, quand je serai devenu un adulte, qu’est-ce que j’allais faire ?
Et donc, je lui ai donné une réponse d’enfant. J’ai dit : « Écoutez, lorsque je serai grand, je vais changer le monde ». Et lui, il me dit : « Ah bon ! Vous allez changer le monde comment ? » Et moi, j’ai dit : « Écoutez, j’aimerais aller dans les écoles discuter avec les enfants pour leur dire que le racisme, sexisme, l’homophobie, ce n’est pas quelque chose de naturel, ce sont des habitudes. Et nous devons questionner nos conditionnements pour changer nos façons de voir les choses et de dire les choses ».
Et donc, pendant la soirée, on parle longuement, il me pose des questions, je raconte un peu l’histoire des Antilles, le code noir, le code de l’indigénat. J’essaie de lui expliquer certains préjugés. Et donc, à la fin de cette soirée, il me dit : « Monsieur Thuram, moi je suis plus vieux que vous. Sachez que le monde, on ne le change pas ». Et donc, je lui dis : « Ben je vais quand même essayer ».
Quelques semaines après, mon téléphone sonne, et c’était ce monsieur qui m’appelait, c’est-à-dire qu’il avait retrouvé mon numéro de téléphone. Il me dit : « Dites-moi… Vous savez quoi ? J’ai bien réfléchi et vous avez déjà changé une personne, parce ce que vous m’avez raconté lors du dîner, effectivement, m’a permis de raisonner différemment. Si vous voulez passer me voir à mon bureau pour qu’on puisse discuter ».
Ce monsieur s’appelle Juan Campmany. En fait, c’était un grand directeur d’une agence de publicité. Donc, c’est lui qui m’a donné l’idée de créer une fondation qui éduquerait autour du racisme. Il m’a donné cette image très intéressante, il m’a dit : « Ce sera comme une goutte d’huile qui tombe et que petit à petit, ça va s’élargir. Comme ça, vous allez pouvoir questionner la société civile sur ces questions d’égalité dans notre société ». Voilà pourquoi effectivement j’ai créé cette fondation en 2008 ?
Aujourd’hui, ce monsieur est le vice-président de la fondation. Ça fait depuis 2008 que nous allons dans les écoles, que nous faisons des expositions, des livres, des bandes dessinés, pour donner à comprendre le mécanisme du racisme, du sexisme, de l’homophobie et pour dire aux gens : « Faites très attention. Tout cela c’est une idéologie politique, tout cela c’est des volontés politiques, mais ce n’est pas quelque chose de naturel ».
Johan : D’accord. OK. C’est très intéressant. Je me suis renseigné sur la fondation et j’ignorais la façon dont elle a vu le jour et je trouve ça assez intéressant. Alors, Français Authentique et toi, finalement, on a un peu une mission qui est proche, c’est-à-dire d’unifier. Moi, j’essaie de le faire à mon humble niveau via la langue, puisque la langue française, une langue peut être un moyen d’unifier. Toi, tu essaies plutôt par finalement la pensée, les conférences, les idées et l’écriture. Tu as sorti en 2020 un livre qui s’appelle “La pensée blanche”. C’était l’année dernière, me semble-t-il.
Lilian : Oui.
Johan : Je l’ai lu, je l’ai apprécié. Il y a quelques points qui m’ont un peu challengé et dont j’aimerais parler. Si je devais te demander : « Pourquoi tu l’as écrit ? Quelle est la raison numéro 1 de l’écriture de ce livre et quel message principal tu voulais faire passer finalement? »
Lilian : Vous savez, c’est toujours la même chose. L’idée, c’est de donner à comprendre pourquoi le racisme existe aujourd’hui, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de personnes qui ne comprennent pas pourquoi il y a du racisme. Il y a beaucoup de personnes qui voudraient passer à autre chose, mais qui ne comprennent pas que le racisme a une histoire et il faut la connaître, c’est-à-dire que nous utilisons des identités liées à la couleur de la peau, c’est-à-dire que certains vont être vus comme noirs, certains comme blancs, certains comme autres, mais nous ne connaissons pas l’histoire de ces identités.
Et comme tu disais tout à l’heure, ce qui est très important à comprendre, c’est que le racisme casse des liens, c’est-à-dire qu’il y a des gens qui travaillent pour créer des liens, pour créer des connexions, mais le racisme a été mis en place pour casser ces liens. Et si nous voulons reconstruire ces liens, c’est-à-dire qu’il faut comprendre encore une fois ces identités que nous utilisons tous les jours et comprendre que ces identités ce sont des identités qui nous enferment dans les catégories, mais que ça a été une volonté de diviser les êtres humains en supposé races et on a hiérarchisé ces races en donnant à comprendre que la race blanche était supérieure. Et donc, pour moi, c’est très important de comprendre l’histoire pour pouvoir la dépasser.
Johan : Oui, effectivement. On va revenir à l’histoire après parce que c’est un des deux points qui m’ont vraiment un petit peu fait réfléchir, même s’il y en a plein d’autres. Déjà, moi, je dois avouer être un peu… je le suis de moins en moins, mais être un peu naïf face au sujet du racisme, parce que comme je ne le subis pas, j’ai tendance à ne pas le voir. On verra aussi, c’est le deuxième point qui m’a chamboulé, tu en parles dans le livre.
Tu donnes des exemples dans le bouquin dont un que j’aimerais lire, qui me semble imparable, c’était une étude de Fabien Jobard qui dit que par rapport à un blanc, un noir en court 3,5 à 11,5 fois plus de risque d’être contrôlé selon les lieux, un maghrébin 1,8 à 14,8 fois plus etc. Etc. Est-ce que c’est ce genre de choses vraiment que toi tu combats ? C’est des choses aussi concrètes du quotidien ou tu te focalises plutôt sur l’idéologie globale ?
Lilian : Non, mais c’est un tout, c’est encore une fois essayer de faire une photographie des réalités, c’est-à-dire qu’effectivement les gens qui ne subissent pas le racisme ne peuvent pas vivre le racisme dans leurs chairs, donc n’ont pas conscience en fait que le racisme existe vraiment.
Et donc l’idée, c’est rappeler aux gens en leur disant : « Écoutez, on va être un peu sérieux, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de gens qui disent qu’ils subissent le racisme dans la société, donc ce serait intéressant de les écouter, c’est-à-dire ayez l’honnêteté d’écouter ces personnes. Et s’il y a des centaines, des milliers, des millions de personnes qui disent plus ou moins la même chose, il faut penser que c’est la vérité ». C’est-à-dire qu’on a l’impression que parfois lorsque vous dénoncer le racisme, les gens sont en train de vous dire : « Ben non, vous exagérez quand même. Non, ça c’était avant mais plus aujourd’hui ».
Je voulais juste dire qu’il y a des livres qui traitent de ces sujets, il y a des expériences qui traitent de ces sujets, et donc il faut qu’on puisse s’informer pour qu’on puisse se questionner soi-même sur ses propres préjugés. Ce que j’essaie de dire, c’est que toutes ces données doivent nous emmener à nous questionner, à savoir qu’est-ce qu’on pense de tout ça et comment nous sommes en face de ces préjugés racistes parce que c’est tout à fait normal d’en avoir.
Johan : Il y a une des thèses du livre, et tu as commencé à en parler juste avant, qui dit qu’en fait le racisme il est culturel, il est lié à l’histoire et surtout à l’éducation. C’est vrai que moi ça m’a fait penser au programme scolaire d’histoire. Je me suis souvenu du fait par exemple qu’on étudie énormément la Première Guerre mondiale, la Deuxième Guerre mondiale, mais qu’on n’a pas tendance à parler énormément de la colonisation. On en parle un peu, mais moins. On ne parle pas trop de l’esclavagisme. On n’en parle un petit peu, mais pas en entrant autant dans les détails que sur d’autres sujets. La Conférence de Berlin dont tu parles dans le bouquin, en 1885, qui a en fait entraîné le partage de l’Afrique, on en parle quasiment pas. Est-ce que c’est ça justement un des leviers qui pourrait faire que le racisme devienne un peu moins répandu dans la société, de jouer sur le levier de l’éducation ?
Lilian : Totalement. Pourquoi ? Parce que chacun de nous, nous sommes le résultat d’une éducation, nous sommes le résultat d’histoires racontées, nous sommes le résultat d’histoires entendues. Et donc en fait, si on ne vous a pas appris certaines histoires, vous ne pouvez pas réfléchir à travers ces histoires-là.
Et donc l’idée, pour moi, c’est changer l’imaginaire collectif. Pour changer l’imaginaire collectif, il y a les histoires qu’il faut connaître. Par exemple, pas plus tard que ce matin, j’avais des amis à la maison et je leur demande : « Est-ce que vous connaissez Christophe Colomb ? » Ils me disent : « Oui, c’est celui qui a découvert l’Amérique ». Je dis : « Oui, c’est très intéressant ». D’ailleurs, dans le livre, je raconte aussi. Je dis : « OK. Lorsque Christophe Colomb arrive dans les Amériques, vous êtes sur le bateau ou sur la plage ? » Les gens disent : « Sur le bateau ». Je dis : « OK. D’accord. Mais ceux qui sont sur la plage, ils ne disent pas que Christophe Colomb a découvert l’Amérique ». Là il y a un silence, ils me regardent, ils disent : « Ah ouais ». Je dis « Ben voilà ».
Je dis : « En fait, pour changer d’imaginaire, il faut avoir le courage d’écouter et d’entendre la parole de ceux en fait qui sont sur la plage et qui disent non, nous étions là et l’arrivée de Christophe Colomb n’a pas été quelque chose de positif, comme certaines personnes peuvent raconter aussi du côté de ceux qui ont été colonisés et raconter la colonisation ». Et je pense que beaucoup de personnes ne se rendent pas compte qu’effectivement, très souvent, l’histoire que nous entendons en règle générale, c’est du côté des personnes dites blanches. Et donc en fait, parfois, on ne se rend pas compte mais que l’histoire est biaisée.
Donc, je pense que nous devons sortir de ces histoires selon où on se positionne et regarder l’histoire selon avant tout comme un être humain, c’est-à-dire, dire que l’esclavage, dire que la colonisation, ce ne sont pas des affrontements entre personnes de couleurs différentes, ce sont avant tout des systèmes économiques. Tout système économique construit un discours pour légitimer sa violence. Pour moi, c’est très important de raconter l’histoire, parce que très souvent on raconte l’histoire d’un seul point de vue. Il faut multiplier les points de vue pour comprendre la complexité des choses.
Johan : Quand tu dis dans le bouquin, tu l’écris aussi, c’est une chose qu’on dit assez souvent à l’oral, mais l’histoire est écrite par les vainqueurs en fait. C’est effectivement… il n’y a qu’une histoire qui est présentée, c’est ceux qui avaient les moyens financiers ou militaires à l’époque de pouvoir dominer et la raconter ensuite.
Lilian : En fait, oui, l’histoire est racontée par surtout ceux qui ont le pouvoir de la communication, parce que vous savez, de tout temps, il y a toujours des hommes et des femmes qui étaient en désaccord contre les pratiques, que ce soit Christophe Colomb, que ce soit l’esclavage, que ce soit la colonisation, c’est-à-dire il y a toujours eu des hommes, et peu importe leur couleur de peau d’ailleurs, qui ont toujours dénoncé ces violences. Mais par contre, ils ne maîtrisaient pas la communication, ils n’avaient pas le pouvoir, même aujourd’hui d’ailleurs hein, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, il y a un discours dominant, mais ce discours est dominant parce que, en règle générale, ceux qui détiennent les moyens de communication mettent en avant une certaine histoire.
C’est pour cela que j’ai dit que OK, nous devons avoir le courage de regarder d’autres points de vue. Cela peut-être va nous permettre d’être plus intelligent et surtout de ne pas tomber dans le piège du racisme, ça veut dire le piège de la division, le piège de l’un contre l’autre, parce qu’en créant ces catégories liées à la couleur de la peau, c’est avant tout justement pour casser des liens. Et nous devons reconstruire ces liens tout simplement pour mettre au cœur du projet politique les solidarités. Je trouve que les solidarités c’est la chose la plus importante, c’est-à-dire que ce que tu essaies de faire en mettant sur les ondes la langue française, c’est aussi créer un espace de solidarité autour d’une langue. Ça, c’est très important.
Johan : Tout à fait. Et tu dis, il y a un autre point du bouquin que je me suis noté, parce que ça fait bien le lien, je trouve, entre l’aspect historique, puisqu’au début tu parles pas mal de l’histoire dans le bouquin, et la transition par rapport à la période actuelle, et un petit extrait quand tu dis : « Le racisme d’État n’existe plus, mais le fait qu’il ait existé pendant plus de 250 ans en France, par exemple, est à l’origine de ce que nous vivons aujourd’hui ». Du coup, ça, je pense qu’on le résume aussi dans le slogan ou le leitmotiv de ta fondation, qui est : « on ne naît pas raciste, on le devient ». Comment il est venu ce slogan ? Est-ce que c’est un truc qui est venu tout de suite quand tu as créé la fondation ou c’est venu avec le temps à force de discuter avec des gens ?
Lilian : Non, mais en fait l’idée « on ne naît pas raciste, on le devient », c’est comme on ne naît pas blanc, on le devient, qui est le sous-titre du livre, je dirais que c’est de Simone de Beauvoir, on ne naît pas femme, on le devient, c’est-à-dire que nous sommes encore une fois le fruit d’une éducation et nous devons prendre conscience de cela, c’est-à-dire qu’on grandit et nous sommes conditionnés à reproduire les schémas dans nos familles, dans nos pays, dans notre environnement et donc parfois, très souvent, on pense pour acquis quelque chose qui a été communiqué petit à petit, et parfois on ne le requestionne plus.
Et donc, pour moi, c’est vraiment très important, oui, à travers l’éducation, de comprendre qu’il y a une continuité, c’est-à-dire que pourquoi aujourd’hui on peut dire tout simplement qu’il y a un racisme systémique ? Pourquoi ? Parce qu’au début de l’entretien, tu m’as bien rappelé le fait que selon ta couleur de peau, tu seras plus ou moins contrôlé, ben c’est du racisme. Si jamais la police n’a pas le même comportement avec tout le monde et n’a pas le même comportement parce que vous avez une couleur différente, ben ça s’appelle du racisme, tout simplement.
Mais pourquoi c’est un racisme systémique ? Parce qu’aujourd’hui il n’y a pas de loi qui dit au policier : « Vous allez contrôler plus souvent certaines personnes ». Non, il n’y a pas de loi, mais il y a des habitudes. Et à preuve du contraire, lorsqu’on parle de la police, là c’est encore pour l’État. Je veux dire, ce ne sont pas des individus qui s’habillent comme ça et qui vont contrôler les gens. Non, c’est la responsabilité de l’État.
Et si là, l’État ne met rien en place pour que ça s’arrête, ça veut dire que l’État cautionne quelque part ces choses-là. Si l’État cautionne ces choses-là, on peut légitimement dire que nous sommes dans un racisme systémique. Encore une fois, il faut bien expliquer à ceux qui nous écoutent que le racisme perdure dans les sociétés parce que les institutions le veulent bien, c’est-à-dire que lorsqu’on parle du racisme en France, il faut connaître le code noir, il faut connaître le code de l’indigénat.
Par exemple, en France, la plupart des gens sont persuadés que les lois racistes se trouvaient aux États-Unis, se trouvaient en Afrique du Sud, mais ils n’ont pas conscience qu’en France il y a eu des lois racistes pendant plus de 250 ans et que par exemple, dans les écoles, jusqu’en 1950, on apprenait qu’il y avait plusieurs races et on apprenait que la race la plus parfaite était la race blanche.
Encore une fois, moi, je ne veux pas culpabiliser les gens, je veux juste faire une photographie de l’histoire et de leur dire : « Aujourd’hui, nous sommes d’accord, certains disent qu’il n’y a pas de racisme », ils sont une minorité, mais les gens honnêtes vont reconnaître qu’il y a du racisme. Et moi, ce que je veux leur dire, c’est : « Apprenez l’histoire pour comprendre pourquoi aujourd’hui nous vivons dans la société que nous vivons et que, encore une fois, le racisme c’est extrêmement violent parce que c’est vraiment une violence existentielle, c’est-à-dire que ça rabaisse les gens, ça violente les gens, ça enferme les gens dans une certaine infériorité ». Et donc, c’est juste inviter les gens à sortir d’une certaine neutralité, c’est-à-dire que les gens ils se disent : « Moi, je n’y suis pour rien ».
En fait, quand vous êtes dans une neutralité, ça veut dire que vous cautionnez le système en état. C’est ce que je veux dire aux gens : « Nous ne devons pas être dans une neutralité parce que la neutralité, lorsqu’on parle de racisme, de sexisme, d’homophobie, ça n’existe pas ».
Johan : C’est justement le point que je voulais aborder, parce que c’est celui qui m’a le plus clairement chamboulé quand j’ai lu ton livre, parce qu’indirectement je me sens visé quand tu dis que ceux qui ne regardent pas ou ceux qui ne voient pas, c’est comme s’ils étaient complices. Tu écris, : « Quelle est la responsabilité de celui qui ne connaît pas ou pas bien la réalité ? Est-il innocent ou bien responsable de ne pas avoir accompli assez d’effort pour savoir ? N’est-il pas de ce fait complice ? » C’est un peu finalement ce que tu es en train de dire avant. Je voulais que tu éclaircisses, puisque dans le livre, c’est quand même sous forme de question. Est-ce que vraiment, selon toi, la personne qui finalement ne voit pas est complice ou alors tu peux comprendre que chez certaines personnes il y a vraiment de la naïveté ?
Lilian : Alors, j’aimerais ne pas répondre, parce que je pense que si j’ai mis ça en forme de question, c’est pour que les gens puissent se poser la question…
Johan : Ça a marché pour moi en tout cas.
Lilian : parce que, encore une fois, il faut se poser la question, à savoir est-ce que c’est vraiment vrai que je n’ai pas conscience de vivre dans une société raciste ? Nous sommes des hommes tous les deux, est-ce que nous sommes vraiment sincères lorsqu’on dit : « Ah oui ! Tu penses qu’il y a du sexisme dans notre société ? » Est-ce que nous sommes vraiment honnêtes ? C’est-à-dire que je pense que, nous les hommes, nous savons très bien la relation de domination qui existe dans la société entre les hommes et les femmes. Nous savons très bien, dans un couple, il y a certaines choses qu’on ne fait pas parce qu’on sait que notre femme doit le faire. Vous voyez ce que je veux dire ? Le rapport qu’on peut avoir avec nos enfants.
En fait, je pense que nous devons avoir cette honnêteté de nous questionner. C’est pour ça que je n’ai pas envie de répondre à la question. Chacun de nous, nous devons questionner d’ouvrir les yeux, parce que très souvent on entend les problématiques avec la police, on entend des gens qui dénoncent le racisme, le droit au logement, au travail. Je pense que parfois il est trop facile de ne pas vouloir se confronter à une certaine réalité de la vie, parce que ça veut dire que vous êtes obligé de vous questionner sur vous-même et peut-être de vous remettre en question et peut-être arriver à un point ou dire peut-être que je fais partie du problème, parce que, encore une fois, c’est trop facile de penser que ce sont les personnes discriminées qui peuvent trouver la solution seule et eux seuls doivent réfléchir au racisme.
Johan : Oui, effectivement. Je trouve bien le fait de l’avoir formulé comme ça dans le livre parce qu’on sent bien qu’on n’a pas cherché à prendre position clairement pour ne pas influencer, mais laisser justement la possibilité aux gens de se poser la question eux-mêmes.
Lilian : Oui, parce que ça me paraît évident, parce ce qu’encore une fois, il y a des fois on évite à soi-même à se poser certaines questions, parce qu’on a peur des réponses, on a peur de remise en question. Et donc, on se dit : « il est préférable que je ne me pose pas certaines questions ».
Johan : Oui, c’est plus facile. Du coup, si on bascule vers la phase, quelles sont les solutions ? Comment faire justement pour résoudre ça ? Tu en parles dans le livre, tu fais des propositions, tu as déjà ébauché quelques réponses, notamment dans le bouquin, c’est une chose que moi j’ai toujours essayé de faire, tu recommandes de multiplier les angles de vue pour essayer de changer de paradigme.
C’est ce que moi j’ai toujours eu la chance de pouvoir faire, parce que j’ai travaillé avec des gens de différentes nationalités, j’ai été confronté à différentes cultures. Mon assistant par exemple vit au Burkina Faso. Donc, si moi j’arrive avec ma façon de voir les choses et que j’essaie de lui imposer, ça ne va pas marcher et vice-versa. J’ai toujours eu l’habitude d’avoir cette différente vision. J’ai une société au Maroc. C’est pareil, si j’y vais avec ma façon de voir les choses, ça ne marchera pas. Il faut que chacun puisse s’adapter aux autres. Comment toi, justement, tu vois ça ? En plus, toi qui as énormément voyagé, qu’est-ce que tu conseillerais aux gens de faire pour s’ouvrir sur les différentes cultures ?
Lilian : Moi, je dirais que la première des choses, avant de s’ouvrir sur d’autres cultures, c’est peut-être comprendre que chacun de nous, nous sommes dans des cases. Ça, c’est important puisque partir de soi, c’est-à-dire je suis un homme, je suis une femme, je suis Français, je suis chrétien, je suis juif, je suis musulman. En fait, nous sommes très souvent éduqués, et on ne se rend peut-être pas compte hein, mais nous sommes dans des cases.
Donc, ça veut dire prendre conscience que vous parlez toujours de l’endroit, vous parlez de quelque part. Ça veut dire si vous prenez conscience que vous parlez de quelque part, ça veut dire que vous pouvez prendre conscience aussi que l’autre parle d’autre part. Et donc, ça veut dire que s’il faut avoir cette compréhension, ça veut dire qu’il faut créer le lien, il faut créer la discussion et il faut aussi avoir cette capacité de se mettre aussi à la place de l’autre. Je pense que c’est comme ça qu’on peut grandir.
À partir du moment où vous finissez par comprendre cela, je pense que vous comprenez que nous sommes des êtres humains avant tout et chacun de nous, nous sommes uniques. Et donc, il faut essayer de se dire : « Mais qu’est-ce qui fait que parfois on ne s’entend pas ? Pourquoi, parfois, on nous renvoie à notre catégorie ? Pourquoi, parfois, on reforme des catégories ? » S’intéresser à ça, c’est s’intéresser aussi aux discours politiques, parce qu’encore une fois, c’est des discours politiques qui sont au-dessus de tout, c’est-à-dire qui donnent la direction du vivre ensemble ou du non-vivre ensemble.
À partir du moment où vous comprenez que parfois on va s’amuser à envoyer des catégories l’une contre l’autre, ça veut dire vous n’allez pas tomber dans le piège. Et ne pas tomber dans le piège, c’est avant tout aller vers la solidarité. Mais pour cela, il faut se dire : « Nous sommes des êtres humains avant tout. OK. Quand vous parlez des couleurs de peau différentes ou religions différentes, en fait ce n’est pas ça le plus important. En fait, OK, comment on va redistribuer les richesses ? Comment on va avancer ensemble ? Comment chacun de nous, nous allons être légitimes dans ce pays-là ? »
Lorsque vous commencez à vous intéresser à ça, vous allez voir que le discours politique est très souvent lié au discours économique, c’est-à-dire que le discours politique, depuis des siècles, légitime la violence économique du monde. C’est ça que je voulais qu’on retienne du livre, c’est-à-dire que, que ce soit l’esclavage, la colonisation, ce que nous vivons aujourd’hui, en fait l’idéologie politique violente les individus, ne respecte pas les liens, casse les liens. Mais pour prospérer, cette idéologie politique doit créer l’un contre l’autre, les noirs contre les blancs… on est l’un contre l’autre. Ça veut dire qu’on ne pense plus à la solidarité parce que vous n’avez plus le temps.
Vous devez essayer dans la lutte, de survivre, et c’est le piège. L’idée du livre, c’est de dire aux gens : « OK. Nous sommes dans un système économique depuis des siècles qui violente les gens, qui violente la nature. Est-ce que nous pouvons nous arrêter cinq minutes et remettre au centre de tout l’être humain ? » Parce que sinon on va finir par croire que c’est juste qu’il y ait des pauvres, c’est juste qu’il y ait des millions d’êtres humains enfermés dans des camps de réfugiés, ce sont des prisons à ciel ouvert, parce que j’ai eu l’opportunité d’aller voir ces camps, c’est juste horrible, c’est-à-dire que dans 50 ans, dans 60 ans, il y a des gens qui vont questionner notre génération en disant : « Mais comment ils ont pu laisser faire ça ? » On se demande : « Comment on a pu laisser l’esclavage ? Comment on a pu laisser faire la colonisation ? »
Mais nous aussi, on va nous questionner hein, c’est-à-dire qu’il y a des milliers de personnes qui meurent chaque année dans la Méditerranée, ben on va nous questionner aussi. Il y a des migrants qui sont maltraités, il y a des guerres pour des intérêts économiques, donc on va nous questionner. Et donc, moi je pense qu’à un moment donné, oui, il faut remettre en question le système économique dans lequel nous vivons pour dire que non, la solidarité ce n’est pas un gros mot. Vous voyez ce que je veux dire ?
Johan : Oui. Du coup, la solution, toi tu la penses plutôt au niveau de l’individu en fait. Tu ne crois pas qu’elle arrivera d’un point de vue politique parce qu’il y a trop d’intérêts qui sont en jeu.
Lilian : Oui, mais en fait ça se rejoint, ça veut dire la prise de conscience individuelle nous emmène à aller dans une direction politique. S’il n’y a pas une prise de conscience individuelle, on va toujours se faire leurrer par le discours. Pendant des siècles, on a expliqué qu’il y avait des hommes, des femmes, des enfants qui étaient inférieurs et c’était normal qu’on puisse les exploiter. Ça n’a pas duré deux ans, trois ans, ça n’a pas duré un siècle.
Ça veut dire que le discours, il faut pouvoir l’analyser et la rejeter, parce que vous finissez par croire que c’est vrai. Donc, ça veut dire qu’individuellement, nous devons être éduqués et nous devons nous éduquer à décortiquer les discours politiques et les discours économiques pour pouvoir rejeter ces discours-là. Sachant qu’en règle générale, c’est très difficile, parce qu’en règle générale, ceux qui ont la capacité de créer des discours sont du camp qui défend que les inégalités c’est tout à fait naturel.
Johan : Est-ce que tu penses que d’un niveau politique, aujourd’hui, on devrait faire… il y a eu un débat aux États-Unis suite aux différents scandales qu’il y a eu en 2020 et bien avant, au niveau justement de donner moins de visibilité à des personnages historiques obscures. Donc, si on retranscrit ça chez nous, ce serait Colbert, Jules Ferry etc.
Est-ce que tu penses qu’on devrait par exemple dire, ces personnages historiques, qu’aujourd’hui on a tendance encore à présenter de façon positive, on devrait dire ce qu’ils ont fait et on devrait par exemple refuser qu’il y ait une statue de Colbert sur une place donnée, on devrait la mettre dans un musée et donner justement, retourner, ce dont on parlait tout à l’heure, l’enseignement historique sur le sujet ? Est-ce que toi tu es pour faire ça ou alors tu dis : « C’est plutôt symbolique et on devrait s’attaquer à d’autres sujets » ?
Lilian : Écoute, encore une fois, ça dit beaucoup d’un pays le fait d’honorer des hommes qui ont massacré des femmes, des enfants et d’autres hommes. Ça veut dire que, qu’est-ce qu’on veut raconter dans l’espace public ?
Si par exemple, moi j’arrive en tant que Français, moi Antillais, si je dis : « Mais vous savez, ces personnages-là ont violenté mes ancêtres et je trouve que ce n’est pas juste que ces personnes se trouvent honorer dans l’espace public », soit vous me dites : « Tiens, c’est vrai, je n’avais pas pensé, parce que ça fait très longtemps qu’ils sont là, c’est vrai que ça n’a pas de sens », ou bien vous pouvez me dire : « Mais monsieur Thuram, dites-moi pourquoi on devrait les changer ? ». Donc, vous êtes en train de me dire : « Toi, tu es qui en fait pour nous demander de changer les choses ? »
Mais je peux vous répondre qui je suis : « Je suis un Français ». Mais peut-être que vous, si vous voulez les laisser, peut-être que vous ne me considérez pas légitimement comme français. Parce que si vous me considérez légitimement comme français, vous pouvez accepter le fait que je sois heurté et blessé de voir ces personnages-là. Et moi, je reste persuadé que dans l’espace public, il est préférable de présenter des hommes et des femmes qui ont mis en place des choses extrêmement positives pour l’être humain. Mais cela dit beaucoup des gens qui veulent garder dans l’espace public des gens qui ont violenté historiquement, ça veut dire quelque chose, ce n’est pas anodin.
Johan : C’est ça l’argument qu’on entend hein, c’est pour ne pas oublier.
Lilian : Oui. Non, mais pour ne pas oublier, vous savez, vous n’êtes pas obligé d’être dans l’espace public…
Johan : Oui, je comprends bien la nuance.
Lilian : Ne pas dire exactement qui sont ces personnages. Que ces personnages soient dans les musées, moi je trouve qu’effectivement c’est très important. Ne pas oublier, c’est très important. C’est très important de ne pas oublier justement. Et moi, je pense qu’effectivement que les premières personnes à ne pas vouloir oublier ces histoires, ce sont ceux qui ont été victimes de cette histoire. Ne vous inquiétez pas, les victimes, en règle générale, n’oublient pas.
Mais moi, ce que je me demande, c’est pourquoi certaines personnes veulent absolument honorer ces personnages ? Et moi, je pense qu’ils veulent honorer ces personnages parce que dans leur façon de penser, il y a des personnes qui ne sont pas en capacité, il y a des personnes qui ne sont pas en droit de demander qu’on puisse donner la direction ou changer la direction, parce qu’en fait, vous savez quoi ? Vous, vous devez être content d’être là, et c’est déjà bien, restez à votre place. Ça, c’est très facile hein. Je peux vraiment comprendre le mécanisme.
Par exemple, très souvent, il y a des gens, lorsque je prends la parole, il y a toujours des gens qui vont dire : « Il n’est pas content de quoi, lui, en fait ? Après tout ce que la France lui a donné, il dit ça ? » Ça veut dire ce que ça veut dire, ça veut dire qu’en fait je ne suis pas totalement français, parce que la France m’a donné quelque chose et je devrais la remercier.
Et c’est ça qui est très intéressant dans cette hiérarchie du passé et du présent, c’est-à-dire qu’il y a des personnes qui, naturellement, devraient toujours remercier d’autres d’exister, parce qu’eux ils sont persuadés que si je n’avais pas été là supérieur, mais tu ne serais pas devenu ce que tu es devenu, donc tu devrais me remercier.
C’est pour cela que moi ça me dérange que dans l’espace public aux Antilles, il y a un personnage comme Shoelcher, parce que Shoelcher c’est exactement ce que ça raconte, c’est-à-dire vous devez me remercier parce que j’ai aboli l’esclavage. Non, je vais vous expliquer. L’esclavage a été aboli parce qu’il y a eu des révoltes d’esclaves. Les institutions changent parce que les gens se révoltent. Il y a eu des droits de grève, pas parce que les patrons ont décidé de donner les droits de grève, pas parce que l’État a décidé de donner les droits de grève, non, c’est parce que les ouvriers se sont révoltés.
Et donc, je pense qu’il faut faire très attention effectivement à ne pas oublier que ce sont les révoltes des personnes opprimées qui changent la société. C’est pour cela qu’à mon avis il faudrait enseigner l’histoire des luttes pour l’égalité à l’école, c’est-à-dire montrer aux enfants très rapidement le pouvoir qu’ils ont sur le devenir d’une société.
Johan : C’est ce que tu disais tout à l’heure quand je te demandais quelle était la solution finalement et où tu dis en fait que c’est la masse qui peut influencer le politique pour changer les choses.
Lilian : Pour que la masse puisse influencer les politiques…
Johan : Il faut qu’elle sache.
Lilian : … une prise de conscience.
Johan : Du coup, pour boucler la boucle… et c’est pour ça qu’il y a ce genre d’ouvrage et ta fondation. Finalement, il y a toute une logique dans notre échange. Tu disais en début d’entretien, tu nous racontais un peu la façon dont tu as créé la fondation et tu nous disais que finalement tu étais optimiste, puisque tu as convaincu quelqu’un qu’on pouvait changer le monde. Est-ce qu’aujourd’hui tu es encore, donc après 12 ou 13 ans maintenant de combat, est-ce que tu es encore optimiste ? J’imagine déjà la réponse, mais je veux quand même te poser la question. Est-ce que tu es encore optimiste pour l’avenir justement, et pour le fait que le racisme, un jour, cessera en France et ailleurs ?
Lilian : Alors moi, je suis très optimiste. Pourquoi ? Parce qu’en fait chaque génération remet en question certaines hiérarchies, certaines formes de pensée. Et ce qui passe aujourd’hui, c’est-à-dire que beaucoup de personnes sont persuadées que Black Lives Matter, c’est quelque chose de nouveau, mais il n’y a rien de nouveau, ça veut dire ça fait des siècles que les personnes opprimées dont les personnes noires revendiquent l’égalité.
Ce qui change aujourd’hui, je pense que pendant très longtemps les personnes discriminées, comme on parle des personnes noires, je vais donner l’exemple des personnes noires aux États-Unis ou en France, acceptaient de se maquiller, acceptaient de se déguiser en ce que les personnes blanches voulaient et acceptaient. Et aujourd’hui, effectivement, il y a toute une génération mais qui refuse le déguisement. Ils disent : « Moi, je n’ai pas me déguiser pour te plaire ».
Et effectivement, certaines personnes sont déstabilisées parce qu’ils n’ont pas l’habitude, c’est-à-dire que lorsqu’on parle par exemple d’assimilation, ça veut dire quelque chose « assimilation », ça veut dire, je suis au-dessus de toi et tu dois tout faire pour me ressembler, parce qu’on n’a pas conscience de ça, ça veut dire que tu dois t’assimiler, ça veut dire que ce que tu es, ça ne m’intéresse pas, par contre tu dois devenir ce que je suis.
Aujourd’hui, il y a toute une génération qui disent : « Écoutez. Non, moi je suis qui je suis et je n’ai pas à vous ressembler, que ça vous plaise ou pas ». Et c’est ça l’égalité en fait. Pendant des siècles aussi, pour qu’une femme puisse réussir, il fallait qu’elle se déguise en homme. Vous voyez ce que je veux dire ? Et donc, non, aujourd’hui, les femmes vous disent que : « Non, je suis une femme, je suis fière d’être une femme et je n’ai pas à me déguiser en homme pour réussir, ça n’a pas de sens ».
Je pense qu’il y a vraiment un mouvement qui est très positif. Bien évidemment, lorsqu’il y a une demande d’égalité, ceux qui ne défendent pas l’égalité se contractent, deviennent plus violents, se défendent, parce qu’encore une fois il ne faut pas être naïf, il y a des personnes qui ont peur et qui ont été éduquées depuis des siècles à penser qu’il y a une guerre, parce qu’il y a des gens qui pensent qu’il y a une guerre des races. Ça veut dire que certains se disent : « Si nous, on n’est plus en haut, eh ben ce sera eux, et ou ce seront eux. Mais qu’est-ce qui va se passer ? »
Et ce qui est très intéressant, tous ces discours, que ce soit à la fin de l’esclavage, il y avait des gens qui disaient : « Non, il ne faut pas leur donner la liberté, parce que quand ils auront leur liberté, on sera en danger », il y a des hommes qui disaient : « Il ne faut pas donner plus d’égalité aux femmes, parce que si on donne plus d’égalité aux femmes, on sera en danger ». En fait, il y a toujours, à chaque génération, des gens qui se sentent en danger, qui ne veulent pas l’égalité. La preuve du contraire, à chaque fois qu’il y a eu plus d’égalité, la société a été meilleure.
Et donc, nous devons continuer à exiger plus d’égalité, à exiger, sachant encore une fois qu’il y a des personnes qui vont tout faire pour qu’il n’y ait pas d’égalité, parce qu’encore une fois les inégalités sont légitimées par le discours économique. Ça veut dire que si on va jusqu’à la fin du raisonnement, si vous demandez plus d’égalité, vous finissez par arriver dans des sociétés où il y aura plus de politiques de solidarité, mais des politiques de plus de solidarité n’intéressent pas tout le monde, notamment ceux qui sont là pour faire de l’argent, parce qu’encore une fois, si vous êtes en capacité de créer un système esclavagiste rien que pour vous enrichir, ça dit beaucoup.
Johan : Je m’attendais à cette réponse. Tu restes optimiste parce que tu vois les avancées tout en reconnaissant que ça va être compliqué en fait.
Lilian : C’est très facile de voir les avancées. Par exemple, moi je dis : « Il suffit de prendre la vie de nos parents ». Chacun peut le faire, c’est-à-dire moi, mon grand-père est né en 1908, 60 ans après l’abolition de l’esclavage ; moi je suis né en 1972 ; ma mère en 47. 47, c’est la ségrégation aux États-Unis ; 72, il y avait l’apartheid en Afrique du Sud. Mes enfants sont nés en 97 et 2001. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun pays où il y a des lois racistes, selon la couleur de la peau. Ça prouve bien que les choses avancent.
Mais ce n’est pas parce que les choses avancent qu’il faut s’endormir. Je pense qu’il faut, encore une fois, accélérer vers l’égalité parce que certaines personnes qui agissent, je dirais, de façon totalement incroyable, nous sommes dans une folie en fait, c’est-à-dire que le mode, le système économique dans lequel nous sommes, légitime la violence qu’on peut faire sur les hommes, la violence sur la nature et légitime tellement cette violence-là qu’on accepte que tout est pollué, qu’il y a de plus en plus d’animaux qui meurent, on légitime le gaspillage. En fait, on légitime des choses qui mettent en danger la survie de l’espèce humaine sur terre. C’est quand même surréaliste.
Johan : Oui. Et c’est vrai que tout est lié finalement.
Lilian : Oui. Non, mais c’est quand même surréaliste. C’est pour ça quand je dis que lorsqu’on parle du racisme, il faut analyser le racisme dans un espace beaucoup plus grand parce que le racisme, au départ, c’est le fait de casser des liens entre les êtres humains pour pouvoir exploiter plus facilement certains. Et donc, nous deux, en discutant du racisme, nous devons recréer ces liens. Et recréer ces liens, c’est le rapport que nous avons nous entre êtres humains et aussi notre environnement. Ça, c’est très important à comprendre.
Johan : Oui. D’ailleurs, tu l’expliques bien aussi dans le livre. C’est vrai que parfois on ne se pose pas les questions des liaisons qu’il peut y avoir entre les sujets. On a tendance à cloisonner… les politiques le font d’ailleurs, c’est les premiers à le faire, le racisme d’un côté, l’économie de l’autre, l’environnement de l’autre, alors qu’en fait les trois sont intimement liés. Je pense que c’est une des choses qu’on peut voir dans le bouquin et aussi au cours de l’entretien et des différents exemples que tu as pu donner.
En tout cas, Lilian, merci beaucoup. C’était vraiment très instructif. C’est un honneur pour Français Authentique de t’avoir parmi nous, et pour moi, personnellement, vraiment. Ton avis était étayé et argumenté.
Pour ceux qui veulent en savoir plus, je mettrai le lien dans la description de la vidéo vers ta fondation et vers ce livre, “La pensée blanche”, qui est instructif et en plus, qui peut faire réfléchir, comme on l’a vu aujourd’hui.
Lilian, je te laisse le mot de la fin. Est-ce que tu veux ajouter une dernière chose avant qu’on se quitte ?
Lilian : Une dernière chose avant qu’on se quitte, je ne sais pas. Je dirais qu’il faut qu’on puisse garder notre âme d’enfant et ne jamais cesser à se poser des questions, c’est-à-dire essayer toujours de comprendre le pourquoi des choses.
Johan : Super ! Merci beaucoup.
Lilian : Merci à toi et plein de bonnes choses.
Johan : Pareil, merci Lilian.
Lilian : Merci !
Johan : Et voilà, merci d’être resté jusqu’au bout. Je ne t’avais pas menti, Lilian a apporté énormément de valeur. Je l’en remercie. Dans la description, tu trouveras un lien pour aller visiter sa fondation et pour aller découvrir ce livre, “La pensée blanche”. Donc, fais honneur à Lilian, va cliquer, va jeter un œil et va découvrir ce que Lilian a raconté pour approfondir un petit peu le message partagé avec toi aujourd’hui.
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Je te dis à très bientôt pour du nouveau contenu en français authentique. Salut !